Serment

CONTEXTE ET GENÈSE

Camp central et Kommandos : 200 000 détenus, 120 000 morts.

La situation en avril 1945

Statistiques (au 15 mars, Mauthausen et Kommandos) : 82 000 détenus, dont 22 000 Soviétiques, 19 000 Polonais, 15 000 « juifs », 7 000 Allemands-Autrichiens, 4 600 Français, 3 800 Italiens, 3 400 Yougoslaves, 2 000 Espagnols, 1 300 Tchécoslovaques…

La plupart des détenus sont dans les camps annexes (Kommandos), où les conditions de survie sont dramatiques (400 morts par jour à Ebensee fin avril). Le camp de Melk a été évacué mi-avril, principalement sur Ebensee (16 000 hommes). Des milliers de détenus juifs hongrois, quelques semaines parqués dans une extension du camp central, sont transférés à Gunskirchen.

Au camp central : 20 000 détenus fin avril 1945 (la majorité au Revier). 

La libération, le rapatriement

Toutes les Françaises (transférées de Ravensbrück en mars) et la plupart des Français ont été évacués (vers la France, via la Suisse) en trois convois de camions par le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), entre le 22 et le 28 avril. Outre les malades du Revier, quelques-uns sont restés, pour assumer des responsabilités au sein du Comité franco-belge de libération et du Comité international. Parmi eux, Lucien Bunel (le père Jacques), Émile Valley, Jean Bénech (médecin), Serge Choumoff (secrétaire-interprète du Comité français). 

Les détenus français, belges, hollandais de Gusen (situé à quelques kilomètres) sont ramenés au camp central le 28 (ils passent devant les camions bondés du CICR). Les derniers gazages ont lieu à Mauthausen dans la nuit du 28-29 avril. Les SS quittent le camp le 4 mai, remplacés par des supplétifs de la Volksturm. Le détenu autrichien Heinrich Dürmayer préside le Comité international de libération. 

Les Américains entrent dans le camp le 5 mai et reviennent en force le 7. On filme l’entrée des libérateurs. La porte du camp arbore une banderole espagnole.

Ebensee  est libéré le 6 mai. Les deux camps du Loibl Pass (frontière yougoslave) les 7 et 8 mai.

Une cérémonie se tient sur la place d’appel le 16 mai, avant le départ des détenus soviétiques. Un Serment de Mauthausen est prononcé en 12 langues (par Émile Valley en français). Un autre texte – « serment des Français » – avait été rédigé.

Le 19 mai, tous les Français ont quitté le camp central (certains pour des hôpitaux de Linz : parmi eux, Lucien Bunel, qui meurt à Linz le 2 juin). Tous ceux qui pouvaient supporter le voyage sont rapatriés, en camions du CICR jusqu’à Regensburg, puis en train jusqu’à Mulhouse, puis Paris. Pour les Juifs d’Europe orientale, les Espagnols devenus « apatrides », de nombreux Polonais (qui redoutent la situation politique de leur pays), l’idée de rapatriement est problématique. 

Émile Valley et Serge Choumoff sont de retour à Mauthausen le 3 juin. Ils ont fait le trajet en avion, dans le cadre d’une mission militaire, pour rapporter ce qui pourrait être rassemblé de registres du camp. En août, Paul Tillard revient sur les lieux et en rapporte pour le journal Ce soir un long reportage. Le camp est vide de détenus en septembre. 

Le récit très intéressant du déporté grec Iakovos Kambanellis, dont la traduction française est parue en janvier 2020 (Mauthausen, Albin Michel, 2020, trad. Solange Festal-Livanis), a grandement enrichi et déplacé la perception que nous avions de la période suivant la libération du camp, peu de détenus français ayant vécu l’événement pour en témoigner. Kambanellis évoque deux moments cérémoniels ayant marqué le départ de groupes nationaux : « Adieux espagnols » (p. 80-83, avec un discours de Manuel Razola, dont il restitue de longs passages), les Russes (p. 107-110). De ces deux événements distincts, les dates ne sont pas mentionnées, ni le Serment proclamé en douze langues lors du départ des détenus soviétiques. Ceci bien sûr ne met pas en doute la réalité de l’événement, dont des photos sont conservées, prises par Francisco Boix, celle en particulier d’Émile Valley prononçant le texte en français. Le témoin Kambanellis était ailleurs, voilà tout. Quant au départ des Espagnols, tel qu’il l’a perçu et restitué, il n’est qu’une parcelle d’une réalité plus complexe et éclatée : lire le récit de Mariano Constante (Le partisan espagnol 1936-1945, Tirésias, 2004), qui insiste sur le casse-tête posé aux Américains par ces hommes qu’il était impossible de « rapatrier », départs morcelés et itinéraires contournés, un retour en France, pour certains, le 18 juin seulement. Le retour dans son pays de Kambanellis fut plus tardif encore.

Jusqu’en 2008, l’Amicale n’avait connaissance que d’un Serment de Mauthausen : celui qui fut plus de 60 ans, l’unique, le seul connu de tous.

Prononcé le 16 mai 1945 sur la place d’appel du camp principal par Émile Valley.

Pour autant, le même 16 mai 1945, le même jour, c’est un autre message que souhaitait prononcer Émile Valley sur l’Appellplatz : celui du « Comité national français du camp de Mauthausen » en l’honneur des déportés soviétiques et leur rapatriement.

Nous avons choisi de respecter une appellation unique : le Serment de Mauthausen, au singulier.

LE SERMENT DE MAUTHAUSEN

Le 16 mai 1945, Émile VALLEY, responsable du Comité International de Mauthausen, monta à la tribune dressée sur la place d’appel et fit lecture du « Serment de Mauthausen » : un appel à la solidarité internationale qui est depuis 50 ans la ligne de conduite de l’Amicale.

Voici ouvertes les portes d’un des camps les plus durs et les plus sanglants, celui de Mauthausen. Dans toutes les directions de l’horizon, nous retournons dans des pays libres et affranchis du fascisme.
Les prisonniers libérés, hier encore menacés de mort par la main des bourreaux du monstrueux nazisme, remercient du fond de leur cœur les armées alliées victorieuses, pour leur libération et saluent tous les peuples à l’appel de leur liberté retrouvée.
Le séjour de longues années dans les camps nous a convaincus de la valeur de la fraternité humaine. Fidèles à cet idéal, nous faisons le serment solidaire et d’un commun accord, de continuer la lutte contre l’impérialisme et les excitations nationalistes. Ainsi que par l’effort commun de tous les peuples, le monde fut libéré de la menace de la suprématie hitlérienne, ainsi il nous faut considérer cette liberté reconquise, comme un bien commun à tous les peuples.
La paix et la liberté sont la garantie du bonheur des peuples et l’édification du monde sur de nouvelles bases de justice sociale et nationale est le seul chemin pour la collaboration pacifique des États et des peuples.
Nous voulons, après avoir obtenu notre liberté et celle de notre nation, garder le souvenir de la solidarité internationale du camp et en tirer la leçon suivante :
Nous suivons un chemin commun, le chemin de la compréhension réciproque, le chemin de la collaboration à la grande œuvre de l’édification d’un monde nouveau, libre et juste pour tous.
Nous nous souviendrons toujours des immenses sacrifices sanglants de toutes les nations qui ont permis de gagner ce monde nouveau. En souvenir de tout le sang répandu par tous les peuples, en souvenir des millions de nos frères assassinés par le fascisme nazi, nous jurons de ne jamais quitter ce chemin.
Sur les bases sûres de la fraternité internationale, nous voulons construire le plus beau monument qu’il nous sera possible d’ériger aux soldats tombés pour la liberté :
Le Monde de l’Homme libre !
Nous nous adressons au monde entier par cet appel : aidez-nous en cette tâche.
Vive la Solidarité internationale !
Vive la Liberté !

L’Amicale a décidé de publier ce serment en supplément du bulletin n° 26 de mai 1952 :

« À l’occasion du VIIe anniversaire de la libération du camp et au moment où la paix et la liberté sont à nouveau menacées, où la haine divise plus que jamais les peuples et où la justice ne devient plus qu’un vain mot, nous avons pensé qu’il était bon de publier le Serment que firent à Mauthausen, le 16 mai 1945, les 20 000 déportés rassemblés devant les crématoires et par lequel ils jurèrent de rester fidèles à l’idéal de justice, de paix et de liberté pour lequel tant de leurs camarades étaient morts.
Nous demandons à chacun de conserver ce document. »

LE SERMENT DES FRANÇAIS DE MAUTHAUSEN

« Le 16 mai 1945, le Comité national français du camp de Mauthausen rédige un texte destiné à la cérémonie qui doit honorer le rapatriement des déportés soviétiques.

Les auteurs en sont donc, sans doute à des degrés divers de responsabilité, Émile Valley, Ange Gaudin, Octave Merlinge, Maurice Passard, Fernand Alby, le pasteur Paul Buchsenchuts.

Le même jour, c’est un autre message que lira Émile Valley sur l’Appellplatz : la version française, connue de nous tous, du « Serment de Mauthausen ». Ce Serment-là, demeuré célèbre parmi nous, a occulté le texte rédigé par le Comité français.

Pour des raisons politiques, qu’on comprendra à la lecture, ce document disparaîtra, dès la création de l’Amicale, de nos Archives elles-mêmes…

Merci à Serge Choumoff de nous en avoir donné connaissance – considérant qu’il était sans doute possible de l’exhumer. »

in bulletin n°314-315, décembre 2008, p. 32

Mauthausen, le 16 mai 1945

Français,

Nous, les rescapés du camp d’extermination nazi de Mauthausen et de ses Kommandos, réunis en ce matin du 16 mai sur cette place où ont passé tant de nos camarades que nous ne reverrons plus, nous portons tristement notre pensée vers nos morts innombrables tombés pour la défense de la liberté.
Nous saluons la mémoire de tous nos morts, nous jurons de rester unis pour la défense de leur cause qui est la nôtre.
Nous jurons de ne jamais tolérer que l’on insulte leur idéal, nous serons impitoyables pour tout ce qui pourrait rappeler l’esprit ou les méthodes de nos bourreaux.
Nous nous rappelons aussi qu’aujourd’hui, si nous sommes encore vivants, nous le devons aux alliés, c’est-à-dire aux USA, à la Grande Bretagne et à l’Union Soviétique confondus dans nos cœurs dans une même pensée de reconnaissance.
En ce jour nos camarades Russes quittent le camp. Nos vœux ardents les accompagnent dans leur fière destinée. Elle est celle des citoyens du grand peuple allié devant laquelle s’ouvre l’étonnant avenir de la société collective, de l’élévation nationale et du perfectionnement individuel.
Sachons demain nous inspirer de l’histoire prodigieuse de l’URSS, depuis trente années, de la ténacité farouche et froide du peuple britannique, du puissant esprit d’organisation de la nation américaine.
Mais sachons aussi nous inspirer de la grandeur et de la noblesse de notre propre et longue histoire. 
Demain une France nouvelle nous attend, une France populaire, unie autour du général de Gaulle qui a sauvé l’honneur et la liberté française.